ANEF, silence et rejet implicite : le référé-suspension comme réponse stratégique

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Vous avez déposé votre renouvellement de titre de séjour ou de carte de résident algérien, mais la préfecture ne vous répond plus ? Aucun récépissé, aucun suivi, seulement des messages automatiques. Derrière ce silence, le CESEDA fait pourtant naître une décision implicite de rejet aux conséquences majeures. Quels sont alors les recours réellement possibles, notamment en urgence ?

Depuis la bascule vers la plateforme ANEF, le quotidien des étrangers sollicitant le renouvellement de leur titre de séjour ou carte de résident s’est profondément dégradé. Une fois leur demande déposée en ligne, ils n’ont plus aucun moyen d’obtenir un suivi : aucun interlocuteur, aucun rendez-vous, aucune réponse individualisée. Seuls parviennent des courriels automatiques et standardisés, qui n’apportent aucun renseignement utile sur l’état réel du dossier.

Ce fonctionnement révèle moins un choix de dématérialisation qu’une saturation manifeste des services préfectoraux, dont les retards s’accumulent au détriment des usagers. Les conséquences sont souvent immédiates et lourdes : perte d’emploi faute de récépissé, impossibilité de voyager, refus de prestations sociales, blocages bancaires, démarches familiales suspendues.

Face à cette opacité, la question essentielle est la suivante : que peut faire concrètement l’usager lorsque la préfecture reste silencieuse ? Le droit positif donne une réponse précise. Les articles R. 432-1 et R. 432-2 CESEDA prévoient que le silence gardé pendant quatre mois sur une demande de titre de séjour vaut décision implicite de rejet. Ce rejet tacite intervient même si la préfecture a délivré un récépissé ou une APS, ce que confirme une jurisprudence constante (TA Melun, 2 oct. 2025, n° 2513855 ; TA Paris, 16 sept. 2025, n° 2524055).

À partir de cette date, ce refus tacite produit des effets concrets. Il signifie que la préfecture n’est plus tenue d’instruire le dossier et qu’elle n’a plus l’obligation de délivrer un récépissé. Il signifie également que les "référés mesures utiles" qui consistent à enjoindre à l’administration de délivrer un rendez-vous ou un document provisoire ont de fortes chances d’être rejetées, comme l’ont rappelé les tribunaux administratifs de Montreuil, Melun ou Paris à plusieurs reprises. Beaucoup d’usagers découvrent trop tard qu’un rejet implicite est né, alors même qu’ils pensaient être « en attente » ou « en cours d’instruction ».

Face à cette situation, plusieurs recours demeurent néanmoins possibles. Il faut rappeler qu’une fois le délai de quatre mois écoulé, et tant que la préfecture n’a ni délivré le titre ni notifié un refus explicite, l’étranger peut déposer un recours pour excès de pouvoir (REP) contre la décision implicite de rejet née du silence administratif. Ce recours n’a pas d’effet suspensif mais constitue la base indispensable pour déclencher certaines procédures d’urgence.

C’est précisément dans ces situations d’urgence que le référé-suspension devient l’outil le plus efficace. Prévu par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, il permet de demander au juge de suspendre immédiatement les effets du refus implicite. Deux conditions doivent être réunies : l’urgence, souvent caractérisée par la perte d’emploi, l’absence de ressources, l’impossibilité de travailler ou la vulnérabilité particulière du demandeur ; et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité du rejet tacite, notamment lorsque la préfecture n’a jamais examiné les pièces ou que la demande relève d’un droit au séjour de plein droit.

Il convient d’ajouter que, pour les demandes de renouvellement d’une carte de résident valable dix ans, les tribunaux administratifs considèrent de manière constante que l’urgence est présumée. En effet, la perte d’un statut aussi protecteur et durable emporte nécessairement des conséquences d’une particulière gravité, ce qui dispense le requérant de démontrer spécifiquement l’urgence.

Le référé-suspension est aujourd’hui la voie contentieuse la plus adaptée au silence préfectoral. Il permet non seulement de neutraliser les effets du refus implicite, mais aussi – selon les situations – d’obtenir que la préfecture réexamine le dossier ou délivre un document provisoire dès la suspension prononcée. En pratique, cette procédure est particulièrement efficace : les juridictions administratives audiencent généralement le référé très rapidement, souvent entre une et trois semaines, selon les tribunaux. De plus, il n’est pas rare que la préfecture réagisse avant même l’audience ou dans les jours qui suivent la saisine, soit en prenant contact avec le demandeur, soit en procédant à une réinstruction accélérée. Le référé-suspension constitue ainsi un outil redoutablement efficace pour débloquer les situations qui paraissaient figées depuis des mois.

Une autre voie existe : le référé mesures utiles, prévu par l’article L. 521-3 du CJA. Celui-ci est particulièrement pertinent avant la naissance du refus implicite, lorsqu’il devient indispensable d’obtenir un récépissé ou une attestation provisoire. Le juge peut intervenir si l’urgence est avérée et si aucune décision n’est encore intervenue. Le Tribunal administratif de Versailles a récemment rappelé que cette voie peut être utilisée pour protéger des droits essentiels, notamment pour des personnes vulnérables ou en situation de grande précarité. En revanche, une fois le délai de quatre mois expiré, cette procédure n’est plus adaptée (TA Versailles, 21 mai 2024, n° 2403668 et n° 2403669).

Enfin, il importe de souligner que la décision implicite de rejet ne peut en aucun cas fonder une obligation de quitter le territoire français. Le Conseil d’État l’a rappelé : une OQTF ne peut être prise qu’à la suite d’un refus explicite et motivé. Cela signifie que l’étranger qui fait l’objet d’un rejet tacite conserve la possibilité d’engager un recours sans craindre une mesure d’éloignement immédiate (CE, 28 mars 2008, n° 311893).

Ainsi, malgré l’inertie apparente, des recours existent, sont efficaces et doivent être mobilisés rapidement. Le silence de l’administration n’est pas un vide juridique : c’est une décision à part entière, susceptible de contrôle par le juge administratif.

Dans un système ANEF totalement déshumanisé, où les préfectures ne répondent plus et où les dossiers restent en attente des mois, les référés constituent souvent le seul moyen de restaurer les droits au séjour des usagers.

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