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Jamais sans mon smartphone ? Le droit à la déconnexion des salariés

Social - Santé, sécurité et temps de travail, Fonction rh et grh
27/09/2016
Les entreprises vont devoir se saisir du droit à la déconnexion des salariés que la loi Travail vient d'inscrire dans le Code du travail.
Par Séverine Martel, associée du cabinet Reed Smith et Fernando Lima Teixeira


La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (« loi Travail ») a inscrit le droit à la déconnexion dans le Code du travail. La négociation annuelle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail devra à partir de l’année prochaine porter également « sur les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise des dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ».

A défaut d’accord, l’employeur devra rédiger une charte définissant les modalités d’exercice de ce droit et prévoyant la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation des salariés et du management à un usage raisonnable des outils numériques. Cette charte devra au préalable être soumis à l’avis du comité d’entreprise (CE) ou, à défaut de CE, des délégués du personnel.

Adjonction au règlement intérieur

A notre sens, cette charte devra être considérée comme une adjonction au règlement intérieur et par conséquent obéir aux mêmes formalités d’élaboration, dans le cas où elle comporterait des obligations mises à la charge des salariés.
Aucune obligation de négocier un accord ou rédiger une charte sur les modalités d’exercice du droit à la déconnexion n’a en revanche été imposée aux entreprises non assujetties à l’obligation de négocier sur ce point (les entreprises n’ayant pas de délégué syndical, notamment celles ayant moins de 50 salariés), sauf en ce qui concerne celles qui emploient des salariés soumis au mécanisme du « forfait-jours ».

En effet, dans le sillage de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation ayant invalidé un certain nombre d’accords collectifs relatifs à cette organisation du temps de travail au motif qu’ils ne garantissaient pas suffisamment le droit au repos des salariés et de l’avenant du 1er avril 2014 conclu au sein de la branche Syntec, la loi Travail prévoit que les accords collectifs autorisant le recours au forfait-jours devront dorénavant comporter des stipulations sur ce sujet.

Aucune sanction

Les entreprises de moins de 50 salariés pourront déterminer unilatéralement les conditions dans lesquelles le droit à la déconnexion pourra être exercé par les salariés soumis aux forfait-jours qu’elles devront porter à la connaissance de ces derniers par tout moyen. Celles d’au moins 50 salariés seront tenues d’adopter des mesures conformes à la charte évoquée plus haut.
Il faut incontestablement saluer la consécration du droit à la déconnexion dans le Code du travail, même si :
  • il ne concerne pas l’ensemble des entreprises et des salariés, bien que la catégorie des salariés soumis aux forfait-jours (qui représentaient selon la dernière étude de la Dares 47 % des salariés cadres en 2015) soit celle qui soit la première concernée par les risques liés à l’utilisation frénétique et incontrôlée des smartphones et autres outils numériques de connexion à distance ;
  • et qu’aucune sanction n’est attachée à l’absence d’accord collectif ou de charte sur ce sujet. On pourrait théoriquement concevoir qu’un CE excipe d’un délit d’entrave en l’absence de consultation sur la charte ou qu’un salarié sollicite la condamnation de son employeur à lui verser des dommages-intérêts au titre d’un prétendu préjudice subi par l’absence de mesures prises pour assurer son droit à la déconnexion.
Il aurait été toutefois plus judicieux d’insister sur la coresponsabilité du salarié dans le droit à la déconnexion. Il peut, en effet, arriver que ce soit les salariés qui d’eux-mêmes décident de répondre à tout instant du jour ou de la nuit à des demandes de clients ou de leurs supérieurs sans qu’ils aient reçu la moindre instruction en ce sens pour parfois exciper de l’exécution d’heures supplémentaires.

Changement de culture

Ce faisant, pour se prémunir contre d’éventuelles actions indemnitaires ou en rappels de salaires, les entreprises pourraient être tentées d’imposer des sanctions aux salariés réfractaires à l’exercice du droit à la déconnexion et ainsi incorporer la charte ou tout autre document unilatéral dans le règlement intérieur.
Rien n’interdit non plus, selon nous, aux entreprises de signer un accord collectif sur les modalités d’exercice du droit à la déconnexion puis d’édicter une charte reprenant le contenu du texte et en attachant des sanctions au non-respect de ces obligations. Reste à savoir si les entreprises vont jouer le jeu de changement de culture.

Le contenu des premiers accords collectifs ou chartes sur ce sujet donnera une indication sur la façon dont les entreprises vont appréhender ce nouveau droit afin de le concilier avec leurs impératifs commerciaux.

Diverses options

Entre système de veille ou fermeture des serveurs smartphones le soir et la nuit, réponse automatique en cas d’absence du salarié, etc. les options - déjà utilisée par certaines entreprises - seront diverses et variées. Elles tiendront souvent compte de leur « business model » et des attentes de leurs clients.
Les solutions adoptées par la Poste ou l’Apec de permettre aux salariés de ne pas répondre à certaines sollicitations envoyées tardivement ne pourraient être dupliquées dans d’autres entreprises, notamment celles évoluant à l’international.

Quoi qu’il en soit, les entreprises sont incitées à répondre à l’appel du droit à la déconnexion pour éviter que le législateur n’adopte pas à l’avenir des règles bien plus contraignantes.
Source : Actualités du droit